"De rouille et d'os", Jacques Audiard

Tout commence avec l’arrivée placide d’Ali, un colosse belge accompagné de son fils. Ils viennent s’installer chez la sœur, une chti qui vit dans le sud avec son doudou, un black bien sympathique. Nous sommes dans la France d’aujourd’hui, on est mixé, on est pauvre, on se serre les coudes.
Ali le colosse ne tarde pas à trouver un travail à sa mesure, il sera vigile, videur, cogneur. C’est un chic type, un peu paumé avec son gamin, il essaie de bien faire, mais il lui manque beaucoup, il ne comprend pas tout, il n’est pas terminé.
Pendant qu’Ali fait son footing sur l’autoroute Stéphanie danse. Elle danse la nuit à l’Annexe un charmant night-club où ils se croisent une 1ère fois. Le jour elle enfile sa combinaison, elle donne des petites caresses sur le gros nez des orques, elle les fait danser eux aussi. Un jour au cours d’un show particulièrement endiablé, elle se fait détruire les jambes et se réveille à l’hôpital 100 ans plus tard, amputée.

Avec De rouille et d’os, Jacques Audiard casse une nouvelle fois la baraque. En nous embarquant au plus près de ces deux âmes endolories, il nous montre à voir et à croire une magnifique histoire d’amour et de rédemption. Son grand sujet, son obsession, lui qui mieux que nul autre sait faire sortir la grâce du sordide et rendre toute chose poétique. Quand par exemple Stéphanie décide d’aller se baigner, avec ses minies jambes : mais quelle folie! Mais Ali est là, plus fort que King Kong, il la trimballe dans la mer et la regarde renaître au milieu des vagues dorées par la lumière du soir. C’est la première scène d’amour entre nos deux éclopés. Elle préfigure de la suite, de la bienveillance, de la curiosité, des tonnes encore de fragilité qu’ils renferment et qui pourrait les engloutir.
Avec une élégance rare, le cinéaste nous plonge au cœur de son récit. Comme toujours inspiré son cinéma est avant tout sensoriel, pour un peu on sentirait le goût des pains dans la tronche, celui du sang dans la bouche, celui de la peur de tout perdre, celui d’être abandonné.
Sa poésie est dans les combats, des images insoutenables et magnifiques, associées à une bande son qui nous fait décoller très vite. Son cinéma, d’une exigence rare, pourrait presque se passer de mots, vous entendez ? Silencio !

Marion Cotillard ensorcelle une nouvelle fois la caméra. Ses gros yeux globuleux désespérants de tristesse nous fichent la chair de poule. Mais comment une toute petite cocotte peut-elle dégager autant de force, autant d’étrangeté… Autant ne pas le savoir, rendons plutôt hommage à son extraordinaire carrière (nous la verrons bientôt dans le prochain film de James Gray, autre grand maître du cinéma et dont les filiations avec Jacques Audiard ne manquent pas).
De l’autre côté Mathias Schoenarts qui outre le rôle du singe géant dans le King-Kong de Peter Jackson a été aperçu dans Bullhead, film dans lequel il ingérait en grande quantité des hormones pour les bœufs (décidément !) et qui jouait déjà sur son physique phénoménal associé à une fragilité à fleur de peau.

On peut rester froid au cheminement tortueux de monsieur King-Kong et madame Robocop, on ne pourra passer à côté de cette intensité de cinéma, de cette occasion si précieuse de voir un grand film. Comme toute œuvre traversée par une très grande intelligence, il rend meilleur celui qui la goûte.

A bon entendeur, je vous salue.
Manu

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire