"L'analphabète", Agota Kristof

Agota Kristof, une analphabète ? C'est ce que semble indiquer l'association du titre et du sous-titre qui précise "récit autobiographique". L'auteur est pourtant lauréate de prix littéraires prestigieux, appréciée des lecteurs et elle écrit des pièces de théâtre et des romans depuis 1987. Sur la couverture la petite fille en fichu rouge au milieu d'une prairie fleurie nous transporte alors dans la Hongrie des années 40, lieu de l'enfance d'Agota Kristof.
Et les premières phrases démentent à nouveau ce titre. "Je lis. C'est comme une maladie. Je lis tout ce qui me tombe sous la main, sous les yeux : journaux, livres d'école, affiches, bouts de papier trouvés dans la rue, recettes de cuisine, livres d'enfant. Tout ce qui est imprimé." En quelques mots l'atmosphère du village et de l'école où a grandi Agota Kristof est installée pour le lecteur. Viendront ensuite des épisodes douloureux et cocasses, l'internat à l'adolescence, la mort de Staline, le passage clandestin de la frontière, le travail d'ouvrière dans une usine suisse, toujours racontés avec beaucoup d'humour et d'émotion dans un style très précis. On avale d'abord les phrases courtes puis on préfère les déguster pour ne pas devoir fermer trop tôt ce court roman. Ou alors, à peine la dernière page tournée, on est tenté de se replonger dans les premiers mots et on ne peut plus les lâcher.
Au fil de ses 11 chapitres le récit retrace la parcours de l'auteure et le lecteur peut suivre du doigt les deux fils conducteurs d'une vie : la lecture et l'écriture. C'est son rapport aux mots et aux langues que la romancière explore dans ce texte, elle qui a choisi d'écrire en français, et qui a dû, à 26 ans, apprendre à lire et à écrire dans cette langue, comme une analphabète.
La parcours atypique d'Agota Kristof donne tout son sens à ce titre qui pourrait paraître méprisant dans la bouche d'une intellectuelle de cet acabit. Mais c'est au contraire la pauvreté, la simplicité, l'humilité de son caractère qui ressortent. C'est aussi un bel exemple du regard que nous pouvons poser sur les clandestins, les illettrés, les pauvres ; à nous de savoir les accueillir et de leur donner la parole.


Agota Kristof, L'analphabète, Genève : Zoé, 2004.

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