Le hasard entraîne parfois des rencontres entre les livres et ces deux romans, Le boulevard périphérique d'Henry Bauchau et D'autres vies que la mienne d'Emmanuel Carrère peuvent presque se raconter maladroitement par les mêmes mots. Dans les deux cas le narrateur est un homme plus très jeune, un double très autobiographique de l'auteur, et il est confronté à la maladie puis à la mort d'une jeune femme qui laisse derrière elle un compagnon et de jeunes enfants. Mais ensuite il faut compter sur les divergences entre les styles, la construction des personnages et de l'intrigue, l'essence même de l'écriture.
Henri Bauchau, Boulevard périphérique, Arles : Actes Sud, 2008. Prix du livre inter 2008.
Emmanuel Carrère, D'autres vies que la mienne, Paris : P.O.L, 2009.
Pour Henry Bauchau rendre visite à sa belle-fille à l'hôpital signifie emprunter chaque jour le boulevard périphérique. Ce trajet et ce lieu douloureux de l'hôpital racontent la vieillesse de l'homme, ses fatigues physiques, ses souffrances, ses doutes. Au chevet de la jeune femme se nouent des relations forcément complexes entre la mère et la fille, la mari et la femme, l'enfant et sa mère, dont l'auteur, également psychanalyste, parle avec justesse et pudeur. Mais l'expérience le ramène aussi à sa propre jeunesse, au temps de la guerre, et à son ami Stéphane, remarquable alpiniste et grand résistant. Il est alors question de vigueur, d'amitiés masculines et d'un autre combat contre le mal représenté cette fois par un officier nazi, le SS Shadow, tortionnaire qui le fascine. A la noirceur de la mort, Henry Bauchau oppose une écriture lumineuse toute en humilité et simplicité. L'introspection à laquelle se livre l'auteur a une valeur universelle et révèle une très grande humanité.
Le titre, D'autres vies que la mienne, l'indique bien, l'auteur parle de parcours de vies mais aussi de lui-même. Car c'est bien l'écrivain qui est au centre du théâtre, l'auteur avec ses doutes existentiels, ses gémissements, ses questionnements, et qui parfois croise la vie d'êtres qui l'émeuvent par la façon dont ils traversent les épreuves et continuent à vivre. Ces drames humains qu'évoquent Emmanuel Carrère sont si puissants que l'émotion nous envahit un peu plus à chaque page. Il est en vacances au Sri Lanka quand le tsunami s'abat sur la région. A l'abri avec sa famille dans un hôtel en hauteur il ne soupçonne ce qui s'est passé que bien des heures plus tard quand les rumeurs du drame arrivent jusqu'à eux. Il rencontre alors Delphine et Jérôme qui sont anéantis par la mort de leur petite fille. On est à la fois terriblement ému par leur histoire et sans cesse agacé par cet auteur un peu trop nombriliste, comme coupé des autres à la fois à cause de son statut social et de sa position d'intellectuel qui souffre de ne pas savoir aimer. Et cette impression perdure quand Emmanuel Carrère raconte l'histoire de sa belle-sœur, juge toujours du côté des plus démunis, handicapée qui ne se plaint jamais, femme et mère de famille discrète et admirable et qui sera emportée par un cancer. Le récit vous tire des larmes mais on est parfois un peu gêné par la posture de l'auteur et qui donne à voir des vies, des hommes et des femmes à la fois singuliers et ordinaires.Ces deux romans s'appuient sur un évènement similaire, qui fait naître des résonances intimes chez les deux auteurs mais Henri Bauchau souffre avec les autres tandis qu'Emmanuel Carrère ne semble pas éprouver une telle empathie mais montre plutôt l'étendue de son égo.
Henri Bauchau, Boulevard périphérique, Arles : Actes Sud, 2008. Prix du livre inter 2008.
Emmanuel Carrère, D'autres vies que la mienne, Paris : P.O.L, 2009.
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