"Jan Karski", Yannick Haenel

C'est un beau titre, un nom de héros exotique qui semble un peu mystérieux et qui se marie bien avec celui de l'auteur. Jan Karski se révèle être le faux nom d'un homme réel qui ne peut plus reprendre sa véritable identité sans se lancer dans d'inextricables soucis avec l'administration américaine. Un nom de résistant polonais, un nom de Juste, un nom de messager dont personne n'a écouté le message.

Et c'est un beau roman, qui a engendré la polémique au cours de l'automne passé mais qui mêle adroitement émotions et réflexions. Dans la première partie l'auteur décrit la séquence de Shoah, le documentaire de Claude Lanzmann, dans lequel témoigne Jan Karski. Cet officier polonais était le messager de la Résistance polonaise et dès 1942 il est chargé de témoigner auprès des alliés de l'extermination des Juifs. Par l'entremise de Yannick Haenel qui rapporte fidèlement le récit mais qui décrit aussi le visage et la voix du témoin, l'émotion qui gagne Jan Karski lorsqu'il raconte sa visite du ghetto de Varsovie se fait intense pour les lecteurs. Dans un deuxième temps Yannick Haenel s'appuie sur l'autobiographie de Jan Karski, Histoire d'un état secret, pour nous livrer la vie extraordinairement romanesque de cet homme. Mais l'auteur s'attache plus aux faits qu'aux sentiments et on se demande souvent ce qu'a bien pu ressentir le messager quand il constate que son message ne passe pas. On est donc avide de cette voix quand s'ouvre le dernier chapitre, un monologue de Jan Karski. Mais un monologue de Jan Karski imaginé et mis en scène par Yannick Haenel. Et dès sa note préliminaire l'auteur a pris bien soin de préciser qu'il s'agit d'une "fiction" et d'une "invention" tandis que les deux premières parties s'appuient sur des documents historiques. Et le monologue de Jan Karski est très fort. Il foisonne d'émotions et de réflexions intimes.

Les critiques ont mis en avant la forme innovante (ou facile) du roman et la polémique s'est emparé de la question des vérités historiques en se demandant où est la limite entre fiction et réalité. "Les alliés savaient et n'ont rien fait" n'est pas un fait prouvé pour tous les historiens. Pourtant cette idée fait écho à de nombreuses tragédies actuelles et nous ramène au conflit en ex-Yougoslavie ou au Rwanda où les gouvernements occidentaux ont laissé faire les atrocités et le génocide. Le personnage de Karski raconte que les Russes ont regardé brûler Varsovie avant d'y pénétrer et cette image fait froid dans le dos parce qu'on a l'impression diffuse que rien n'a changé ; les intérêts diplomatiques ou économiques passent avant tout. Sans doute la parole donnée à Jan Karski ne respecte pas tous les faits historiques mais elle transmet une émotion très puissante et elle s'inscrit dans une réflexion qui dépasse bien les limites de la seconde guerre mondiale pour devenir universelle.

Ecoutez la discussion entre Yannick Haenel et Annette Wievorka, historienne, dans l'émission Répliques.

Yannick Haenel, Jan Karski, Paris : Gallimard, 2009. (Prix Interallié et Prix du roman Fnac)

1 commentaire:

  1. Bonsoir.
    Il me fallait réagir à la ridicule et prétentieuse réponse que Yannick Haenel a faite à Claude Lanzmann (dans Le Monde daté du 26 janvier) en ajoutant quelques lignes à mon féroce article n'est-ce pas ?
    Voilà qui est fait (ici : http://stalker.hautetfort.com/archive/2010/01/23/saint-germain-des-pres-sur-cadavres.html).
    Cordialement.

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