La diagonale des fous

Photo de  Jean-Pierre Vidot
Ah... La Réunion... Cette île au cœur de l'Océan Indien à quelques miles de Madagascar... Farnienter sur ses plages de sable blanc, plonger dans ses eaux turquoises ou danser au rythme endiablé du maloya au Festival Sakifo... Une petite idée du paradis ! Bien loin de l'image qu'en garde les participant à « La diagonale des Fous », LE grand raid de la Réunion (une traversée de l'île dans sa diagonale). Et l'île de La Réunion ce n'est pas l'île de Ré ! Monter, descendre, monter, descendre, avec des dénivelés de saligots, du niveau de la mer à des sommets de près de 2 500 mètres ! Un truc de malade ! Pour vous faire une idée, le Roc'h Trevezel dans les Monts d'Arrée culmine à 384 mètres, et gravir les 222 marches des escaliers de Montmartre vous fera monter de 130 mètres (et là vous avez même le funiculaire !). Les Trégorrois, Bastien et Jean-Jacques Guillou (30 Balais pour le jeune kiné, juste le double pour son père) se sont lancés en octobre dernier pour 170 kilomètres et près de 11 000 mètres de dénivelés positifs, en même temps que 2 800 autre concurrents tout aussi fous. Bastien raconte son expérience :

Avant la course

Au départ, frais comme des gardons
« Le véritable détonateur est mon père. Sans lui, je n'aurai certainement jamais participé à ce genre de courses. On avait déjà fait la "Grande diagonale" il y a trois ans, mais elle était plus courte. J'avais trouvé ça génial même si on en avait chier. Je ne fais pas du sport pour gagner, heureusement d’ailleurs, mais j'en fais plutôt pour partager des choses. Et là ça avait été extraordinaire au niveau de l'échange avec mon père. En plus, on était arrivé grandiose tous les deux en 58 heures. Cette fois, on a commencé à se préparer sérieusement à partir de fin Juin. C'est un peu limite mais avec le boulot, la famille, un bébé, il n'est pas toujours évident de trouver du temps disponible.
Lors des deux derniers mois, on montait le Menez Brée, LA montagne des Côtes d'Armor, une fois par semaine
Et pour des distances aussi longues, il est difficile de se préparer spécifiquement. Nous, on faisait régulièrement des sorties de deux heures, puis on en a fait de plus en plus longues en montant jusqu'à dix heures. On a aussi fait des marches nocturnes où on partait à vingt heures pour revenir le lendemain matin vers huit heures. Sinon, on montait le Menez Brée, LA montagne des Côtes d'Armor, une fois par semaine. En fait, on s'est entrainé avec nos armes, on ne va pas partir tous les weekends dans les Pyrénées ou dans les Alpes. »

La course
Le profil du grand raid 2012
« Le départ, c'est comme un entonnoir, on sait qu'il est primordial d'être bien placé. Mais le bus de l'organisation nous a oublié, et on est arrivé seulement vingt minutes avant. On s'est retrouvé derrière et au premier et au deuxième pointage on a perdu pas mal de temps car ça bouchonnait. En plus les conditions climatiques étaient assez dures puisqu'on a pris de la flotte dès le départ pendant quinze heures. ça fait une bonne entame !

Le volcan est la première grosse difficulté. On monte de Cap Méchant au niveau de la mer jusqu'à 2300 mètres d'altitude. Pendant les huit premières heures, on ne fait que marcher. Par contre, quand on arrive en haut, c'est grandiose, le soleil se lève et on a une vue exceptionnelle.
Quand tu te réveilles dans Mafate, tu hallucines un peu, tu imagines très bien des animaux préhistoriques débarquer au milieu des fougères arborescentes
La deuxième nuit, on arrive dans le Cirque de Mafate. On a alors parcouru 85 kilomètres, passé le piton des neiges et le cirque de Cilaos, mais on sait aussi qu'il en reste 90 ! Là je commence à être fatigué, et à ne plus être très cohérent ! Et même si mon père en ressent moins le besoin, on dort une demi-heure. Il ne faut pas s'arrêter trop longtemps, sinon t'as mal aux cannes. Là, quand tu te réveilles dans Mafate, tu hallucines un peu, tu imagines très bien des animaux préhistoriques débarquer au milieu des fougères arborescentes.

Moment de récupération
Le Maïdo est la troisième difficulté au programme. C'est une montagne de 2 000 mètres complétement abruptes et située après 120 kilomètres de course. Pour la gravir, il faut être particulièrement patient. Là, on ne parle plus, on rentre en introspection et c'est un peu comme si tu faisais un voyage en toi. Tu es vraiment dans l'émotion parce que tu vas taper dans tes limites physiques et tes limites de sommeil. Ensuite on descend de plus de 2 000 mètres à zéro, une vraie descente d'enculée dans laquelle on court un peu parce qu'on sait qu'on est très juste au niveau des délais. À ce moment là, mon père ne pouvait plus courir alors il m'a dit de continuer seul.
Mon père s'est arrêté au bout de 130 bornes et il reste encore 40 bornes. Pour moi, la physionomie de la course change complètement
Il s'est arrêté au bout de 130 bornes et il en reste encore 40. Je dois poursuivre seul et la physionomie de la course change complètement pour moi. Je suis vraiment épuisé, je n'ai plus rien dans les jambes et je me dis que ça va être tendu. Heureusement à cet instant, quelques potes présents ont su me motiver à fond.
Une médaille partagée
Comme je n'ai pas vraiment le physique d'un Kenyan, dans les descentes je souffrais vraiment. Par contre, dans les montées j'avais des super bonnes sensations. Et mentalement, tu t'accroches à tout ce qui passe, tu te dis que tu n'as pas fait tout ça pour rien, que la médaille sera pour le petit, tu penses à ton père, tu penses à tes potes... Malgré tout, j'avais vraiment l'impression que je n'y arriverais jamais, et puis je suis vraiment isolé puisque je crois qu'il ne reste que huit mecs derrière moi. J'ai alors fais le choix de dormir un peu ce qui m'a permis de mieux gérer la suite.
Je termine seul mais comme j'ai toujours eu l'impression de former une équipe avec mon père, on s'attendait, on se supportait, quelque part c'est lui aussi qui arrive
Après la dernière descente, il y du monde à bloc sur la route et on commence à entendre la rumeur du stade de La Redoute. Là c'est génial ! Finalement, je termine seul mais comme j'ai toujours eu l'impression de former une équipe avec mon père, on s'attendait, on se supportait, quelque part c'est lui aussi qui arrive. »

Après la course

Kilian Jornet, le vainqueur
« À l'arrivée ton corps se met directement sur off. En rentrant à la maison, je me suis endormi dans la bagnole, ensuite j'ai quand même pris une petite coupe de champagne, une petite clope histoire de reprendre la vie normal, puis je suis allé au pieu ! J'ai alors dormi plus de 12 heures. 
C'est un peu l'équivalent de Brest-Rennes avec l'Everest entre les deux et une petite montagne derrière
Aujourd'hui, la course a atteint un niveau de difficultés extrême. C'est un peu l'équivalent de Brest-Rennes avec l'Everest entre les deux, et une petite montagne derrière ! D'ailleurs ce type de course a tendance à se professionnaliser avec des gars comme Kilian Jornet. La plupart des mecs qui sont devant aujourd'hui ont moins de 30 ans et ils ne mettent que 26 heures alors que moi je l'ai fini en 65 heures. Mais malgré tout je l'ai fini ! Et la médaille à l'arrivée est la même pour tout le monde. Finalement, c'est un peu comme le bac, l'important c'est de l'avoir, et peu importe la mention ! »

2 commentaires:

  1. félicitations!! ça c'est de l'engagement! se le proposer et le faire... rien que d'y penser j'ai mal à mon corps!! j'espère que t'as aimé la Réunion

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  2. Bravo encore à vous 2!
    J'aurais aimé être là sur les différents sites pour vous encourager de vive voix...
    1000 bisous à toute la famille!

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